Accueil économie L’IA comme révélateur de failles organisationnelles : le constat de Cabinet M

L’IA comme révélateur de failles organisationnelles : le constat de Cabinet M

Le management intermédiaire se retrouve au cœur de la transformation IA, entre gain de performance attendu et pression opérationnelle accrue.

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L’IA comme test de maturité managériale, analyse de Valentin Malfilatre
L’IA comme test de maturité managériale, analyse de Valentin Malfilatre
IA en entreprise : pourquoi les PME françaises doivent passer de l’intention à l’action

IA en entreprise : pourquoi la technologie n’est plus le vrai problème

L’IA n’échoue plus par manque d’outils mais par hésitation managériale, arbitrages reportés et peur de transformer les organisations existantes.

Chaque semaine, des milliers d’heures de travail s’évaporent inutilement — alors que l’IA pourrait déjà les restituer et booster la productivité. Pendant ce temps, l’intelligence artificielle est déjà là, intégrée aux outils du quotidien, souvent inutilisée. Le paradoxe est frappant : jamais la technologie n’a été aussi accessible, et jamais l’écart n’a été aussi grand entre son potentiel et son impact réel.

« L’IA n’échoue plus par manque de technologie, mais par manque de décisions managériales. »

La formule résume avec une précision croissante ce que l’on observe aujourd’hui dans les entreprises françaises. Les outils sont disponibles, parfois déjà payés, mais l’organisation hésite encore à trancher sur leurs usages, leurs limites et leurs conséquences.

Un mardi matin de février, dans une PME du BTP de la région lyonnaise, le conducteur de travaux arrive au bureau avec près de deux heures de retard sur son planning. Non pas à cause d’un chantier en difficulté, mais parce qu’il a passé sa soirée à rédiger des comptes rendus, mettre à jour des tableaux Excel et répondre à une cascade d’e-mails. « C’était devenu normal », confiera-t-il plus tard.

Quelques semaines après, la scène a changé : les comptes rendus sont dictés à la voix sur le chantier, structurés automatiquement, transmis au siège sans ressaisie. Le gain est immédiat : entre trois et cinq heures économisées par semaine, par personne. Rien de spectaculaire, mais une transformation concrète.

Quand l’IA libère du temps

Cette bascule illustre l’état réel de l’IA en entreprise — quand elle libère réellement du temps. En 2025, 31 % des PME françaises déclarent utiliser l’IA générative, mais seules 8 % l’exploitent de façon régulière. L’IA agit désormais comme un révélateur brutal des failles organisationnelles : processus mal définis, responsabilités floues, arbitrages repoussés.

Les freins sont humains ! Dans de nombreuses structures, l’IA reste cantonnée à des expérimentations individuelles, non par défaut d’outils mais par hésitation organisationnelle. Les collaborateurs curieux avancent, les collectifs hésitent.

Valentin Malfilatre, fondateur de Cabinet M
Valentin Malfilatre, fondateur de Cabinet M

« On a vu des équipes équipées, mais paralysées par la peur de créer un précédent ou de se tromper », observe Valentin Malfilatre, fondateur de Cabinet M.

Créé en 2024, ce cabinet spécialisé dans l’intégration opérationnelle de l’IA a d’abord conçu des assistants sur mesure, entraînés sur les données internes. Certains projets ont très bien fonctionné. D’autres ont révélé un angle mort.

Dans une organisation de services, un copilote pourtant performant est resté marginalement utilisé. Non pas à cause d’un défaut technique, mais parce que le management intermédiaire n’osait pas l’inscrire dans les routines, de peur de perdre la main sur des équilibres installés.

Cet échec relatif a servi de point d’inflexion. « L’IA oblige à décider. À clarifier ce qui relève de la machine et ce qui relève encore de l’humain. Et ces décisions sont rarement neutres », résume le dirigeant.

Les projets qui aboutissent commencent souvent modestement. Dans une entreprise de promotion immobilière, l’IA a été limitée à la production documentaire.

Résultat : des dossiers techniques produits quatre fois plus vite. « Avant, on passait des heures à reformuler des documents quasi identiques. Aujourd’hui, on se concentre sur les points sensibles », témoigne un chef de projet, sous couvert d’anonymat.

À l’inverse, certains usages ne prennent pas — ou pas encore. Dans une PME industrielle, la tentative d’automatisation de la planification a été suspendue. Trop de règles implicites, trop de décisions fondées sur l’expérience tacite.

« L’IA met en lumière tout ce que l’entreprise n’a jamais formalisé. Et ce n’est pas toujours prêt à être regardé », reconnaît un dirigeant.

Une question de compétitivité nationale

Ces situations dépassent largement quelques cas isolés. Aux États-Unis et en Europe du Nord, des entreprises ont déjà industrialisé l’usage de l’IA sur des fonctions clés, avec des gains de productivité significatifs. Pendant ce temps, beaucoup de PME françaises restent encore au stade de l’expérimentation. Elles interrogent la capacité des PME françaises à rester compétitives.

En face, de nombreuses entreprises européennes ou américaines ont déjà industrialisé l’usage de l’IA sur des fonctions clés. Dans un contexte de pression sur les marges, de pénurie de compétences et d’inflation administrative, chaque heure perdue devient un coût caché.

L’IA agit alors comme un test de maturité collective. Là où les décisions sont claires, elle libère du temps, renforce la productivité et soulage le management intermédiaire. Là où les arbitrages sont évités, elle s’ajoute à la pile d’outils inutilisés, accentuant la fatigue organisationnelle.

Encadré — Chiffres clés

  • 31 % des PME françaises utilisent l’IA générative
  • 8 % seulement en font un usage régulier
  • Jusqu’à 5 heures gagnées par semaine et par collaborateur sur des fonctions terrain

Avant / Après

PME du BTP accompagnée en 2025 :

  •  avant : 6 à 8 heures hebdomadaires consacrées au reporting par conducteur de travaux ;
  • après : 2 à 3 heures, avec une information plus fiable et mieux partagée.

La question de la souveraineté numérique s’ajoute à cette équation. Faut-il attendre des solutions idéales ou agir avec les outils disponibles ? Sur le terrain, les dirigeants arbitrent rarement en termes idéologiques. Ils composent avec des contraintes juridiques, des exigences de sécurité et une concurrence qui, elle, n’attend pas.

Ce qui freine encore

Flou juridique, peur de l’erreur, manque de temps pour se former, rôle incertain du management intermédiaire : dans la majorité des projets, les freins sont humains avant d’être technologiques.

À mesure que l’IA s’installe, le risque devient plus visible. Ce n’est pas celui d’une rupture brutale, mais d’un décrochage silencieux : des entreprises équipées mais inefficaces, des managers épuisés à maintenir des processus obsolètes, pendant que d’autres gagnent du terrain.

L’IA ne transforme pas les entreprises qui l’achètent, mais celles qui décident enfin. Le vrai défi n’est plus technologique. Il est managérial — et il engage désormais directement la compétitivité de l’économie française.

La phrase à retenir « L’IA ne crée pas de valeur seule. Elle révèle ce que les managers décident — ou laissent en suspens. »

Agir maintenantDécider de l’usage de l’IA n’est plus une option : c’est devenu un impératif pour rester compétitif.

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