Accueil LIVRE Au pays des ombres : le livre-choc du Dr Laurent Layet sur...

Au pays des ombres : le livre-choc du Dr Laurent Layet sur la folie et la psychiatrie en France

Le psychiatre Laurent Layet raconte ses nuits à Montfavet dans Au pays des ombres, un livre publié chez Mareuil Éditions. Décryptage

0
Au pays des ombres - Voyage au coeur de la folie du Dr Laurent Layet, psychiatre, expert près de la Cour d'appel de Nîmes, agréé par la Cour de Cassation
Au pays des ombres - Voyage au coeur de la folie du Dr Laurent Layet, psychiatre, expert près de la Cour d'appel de Nîmes, agréé par la Cour de Cassation

Laurent Layet révèle les coulisses des hôpitaux psychiatriques dans Au pays des ombres

Laurent Layet révèle les coulisses des hôpitaux psychiatriques dans Au pays des ombres

La nuit tombe sur l’hôpital psychiatrique de Montfavet. Les platanes projettent des ombres tremblantes sur les pavillons décrépis, et le silence pesant n’est troublé que par les pas d’un jeune médecin en garde pour la première fois. Nous sommes en 2003. Laurent Layet a trente ans.

Il vient de quitter la voie royale de l’université pour se jeter dans ce que son chef de service appelle « la vraie psychiatrie ». Loin des amphithéâtres et des congrès, il découvre un monde clos, hors du temps, où l’on ne soigne pas seulement des maladies mais des existences fracassées.

Dans Au pays des ombres – Voyage au cœur de la folie (Mareuil Éditions, collection Jacques Dallest, parution le 25 septembre 2025, ISBN 978-2372544344), le Dr Laurent Layet, psychiatre et expert près la Cour d’appel de Nîmes, agréé par la Cour de cassation, raconte cette plongée initiatique dans les nuits de l’asile, là où se croisent les cris des délires et les silences lourds des criminels enfermés.

À travers ses gardes de nuit, il dévoile l’univers méconnu des Unités pour malades difficiles (UMD), ces lieux fermés où la médecine se confond parfois avec l’univers carcéral.

Montfavet, c’est une ville dans la ville, avec ses routes, ses pavillons, ses murs d’enceinte. Tout respire la fin d’un monde et l’usure d’un système. Les couloirs sentent le café tiède et la pierre humide, les unités débordent de patients que l’on parque faute de place, les soignants sont épuisés.

Dès la première nuit, le jeune psychiatre comprend qu’il n’est pas là pour appliquer des protocoles mais pour improviser, écouter, tâtonner. La médecine académique n’a pas de réponse face à ces détresses brutes.Mais derrière cette routine harassante, il y a l’inimaginable.

Ce soir-là, on lui demande de valider l’entrée d’un patient transféré dans l’unité pour malades difficiles. Un monde à part, forteresse de béton et de grilles où ne vivent que des hommes enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Là, il rencontre Monsieur G., un trentenaire sans histoire apparente, qui a un jour basculé.

Après une dispute dérisoire avec son père, il l’a frappé à mort, avant de découper le corps méthodiquement pour le brûler morceau par morceau dans le poêle familial. Quand le psychiatre l’interroge, il répond posément :

« Docteur, je n’ai pas dépecé mon père. Dépecer, c’est enlever la peau. Moi, je l’ai démembré. C’est tout autre chose. » Un frisson, un vertige, la certitude que rien ne prépare à cette confrontation avec la folie criminelle.

Au détour d’une salle de repos, un nom se met à circuler entre soignants : « Marny ». Pierre Just Marny, surnommé « la Panthère Noire », criminel devenu mythe en Martinique. En 1965, ce jeune fugitif armé avait tenu tête à la police, abattu plusieurs personnes dont un enfant, déclenché une chasse à l’homme et des émeutes à Fort-de-France.

Arrêté puis condamné à perpétuité, il a traversé les décennies balloté de prisons en hôpitaux psychiatriques, jusqu’à atterrir ici, dans cette UMD de Montfavet, où il vit depuis plus de quarante ans.

Layet demande à le rencontrer. Derrière la porte se dresse un colosse marqué par l’âge, les cheveux gris, les yeux voilés par la cataracte mais le regard encore perçant.

« Je vais comme un homme qu’on a enterré vivant et qui attend qu’on le sorte de terre », lâche-t-il. Sans colère ni pathos, seulement une constatation glaciale. Puis ce constat, presque philosophique : « On m’a enlevé la seule chose qui compte : la possibilité d’être autre chose que mon passé. »

Dans la petite salle sans âme, le médecin mesure toute l’ampleur de ce que l’institution fabrique : non pas seulement des fous ou des coupables, mais des hommes figés à jamais dans leurs crimes, devenus les symboles commodes d’un système qui justifie ses murs.

L’histoire de Marny, l’île l’a gardée en mémoire. Après quarante-huit ans de détention, il est finalement rapatrié en Martinique en 2008, usé, brisé, presque méconnaissable. Trois ans plus tard, on le retrouve pendu dans sa cellule. La Panthère Noire s’est éteinte, laissant derrière elle une légende sombre que l’on se transmet encore, entre peur et fascination.

Ces nuits, le Dr Layet les décrit avec une précision clinique et une intensité romanesque. On y perçoit la fatigue des équipes, la banalité des prescriptions, la mécanique de survie des soignants. Mais aussi l’humanité ténue qui subsiste malgré tout, un mot échangé, un regard qui accroche.

Plus qu’un témoignage, Au pays des ombres est un livre qui nous confronte à une question essentielle : que faisons-nous de ceux que nous appelons les fous ? En refermant ses pages, impossible de ne pas vouloir en savoir plus, impossible de ne pas aller jusqu’au bout de ce voyage au cœur de la folie.

Laisser un commentaire