
Remise des archives de l’Institut et de la Fondation Mérieux aux Archives départementales et métropolitaines
L’importance de la mémoire lyonnaise pour la recherche
En rejoignant les rayonnages des Archives métropolitaines, le fonds Mérieux devient un matériau partagé, essentiel pour la recherche et l’analyse historique de la santé publique.
Longtemps, ces documents ont vécu en marge du regard public. Rangés dans des bureaux, empilés dans des cartons, conservés dans des bâtiments chargés d’histoire, ils formaient une mémoire silencieuse :
- lettres jaunies,
- rapports techniques,
- photographies,
- films,
- notes internes,
- parfois quelques mots griffonnés à la hâte, sous la pression de l’urgence sanitaire ou de la détresse humaine.

Le 11 décembre 2025, cette mémoire accumulée sur plus d’un siècle a changé de statut. L’Institut Mérieux et la Fondation Mérieux ont officiellement confié leurs archives aux Archives départementales et métropolitaines de Lyon.
Près de soixante mètres linéaires d’histoire scientifique, industrielle et humanitaire entrent ainsi dans le patrimoine commun.
Le geste est à la fois discret et profondément politique. En remettant ces archives à une institution publique, la famille Mérieux accepte que son histoire, indissociable de celle de la santé mondiale, quitte le seul récit familial ou institutionnel pour rejoindre le champ du débat, de la recherche et de la transmission.
Pour les Archives du Rhône et de la Métropole de Lyon, qui conservent déjà 56 kilomètres linéaires de documents du IXᵉ siècle à nos jours, cette entrée marque une étape décisive :
c’est la première fois qu’un fonds de cette ampleur documente de l’intérieur l’histoire de la recherche biomédicale sur le territoire lyonnais.

Derrière les inventaires et les mètres linéaires, les archives racontent avant tout une aventure humaine. Elle commence à la fin du XIXᵉ siècle, dans le sillage de l’épopée pasteurienne, lorsque Marcel Mérieux, assistant d’Émile Roux, fonde à Lyon un laboratoire de sérums.
Elle se poursuit avec Charles Mérieux, puis Alain Mérieux, au rythme des grandes campagnes vaccinales contre la variole, la poliomyélite, la méningite ou la rage. Mais elle se lit aussi dans des gestes plus modestes, moins visibles, où la science se confond avec une réponse directe à la vulnérabilité.
Un rapport de 1951, illustré de photographies, décrit ainsi la création d’un centre de préparation de sérum de bœuf au cœur même des abattoirs de Lyon-Gerland. Le produit, distribué gratuitement aux enfants sous-alimentés via le Comité de l’enfance, visait à lutter contre la malnutrition, alors identifiée comme un facteur aggravant majeur de la tuberculose dans l’après-guerre.
À côté de ce document administratif, une lettre manuscrite tranche par sa simplicité désarmante : une mère marseillaise écrit à Charles Mérieux pendant la Seconde Guerre mondiale pour demander du sérum pour ses deux enfants affaiblis par la faim. La science, ici, ne se décline pas en protocoles : elle prend la forme d’un espoir.
« Je vous en supplie, Docteur, faites ce que vous pourrez », écrit-elle, concluant sa lettre sans titre ni fonction, seulement un prénom, comme si l’urgence ne laissait pas place aux formalités.

Une lettre, une urgence
« Docteur, j’ai lu dans le Petit Journal un article sur les bienfaits du sérum de sang de bœuf… » Écrite en pleine guerre, cette lettre rappelle que derrière les stratégies sanitaires se jouent des décisions immédiates, parfois vitales, où la frontière entre médecine, solidarité et survie est ténue.
Au fil des dossiers, la trajectoire lyonnaise s’ouvre sur le monde. Les archives liées à la campagne de vaccination de masse menée au Brésil en 1974 en donnent une mesure saisissante. À la demande du ministre brésilien de la Santé, face à une épidémie de méningite foudroyante, plus de cent millions de personnes sont vaccinées en quelques mois.
Les documents internes évoquent la création d’un laboratoire de production en un temps record, parfois en dehors des cadres administratifs habituels, tant l’urgence sanitaire l’exigeait.
« Nous savions que le temps administratif n’était pas celui de l’épidémie. Il fallait agir, quitte à régulariser ensuite », résume une note interne. L’opération, devenue une référence mondiale, révèle une science capable de prendre des risques calculés au nom de l’intérêt général.
Une mémoire qui engage l’avenir
Les archives racontent aussi une bifurcation intellectuelle et morale. En janvier 1964, dans une lettre adressée au directeur de la Santé publique, Charles Mérieux affirme la nécessité de créer une fondation distincte de l’Institut.
Il y défend une idée alors encore marginale : l’avenir de l’immunologie industrielle repose sur une collaboration étroite avec les pouvoirs publics et sur une responsabilité qui dépasse la seule production de vaccins.
« L’avenir de l’immunologie industrielle est dans une collaboration étroite avec les services officiels », écrit-il. Cette lettre marque l’acte de naissance de la Fondation Mérieux et d’une vision de la santé comme bien commun.
Les comptes rendus de conseils d’administration, les documents relatifs aux centres de formation, les rapports de mission en Afrique ou à Madagascar montrent comment cette intuition s’est progressivement incarnée.
La Fondation évolue d’un espace de dialogue Nord-Sud vers un acteur de terrain, engagé dans le renforcement des laboratoires de biologie, la formation des personnels locaux, la lutte contre la tuberculose, les infections respiratoires aiguës, la résistance antimicrobienne ou encore la santé maternelle et infantile. Les archives témoignent d’une adaptation constante aux réalités du monde : raréfaction des financements humanitaires, crises sanitaires récurrentes, retour des enjeux nutritionnels.
Le fonds Mérieux en perspective
- Environ 60 mètres linéaires d’archives
- Une chronologie couvrant les XIXᵉ et XXᵉ siècles
- Documents papier, photographiques et audiovisuels
- Premier fonds d’histoire biomédicale d’envergure conservé aux Archives départementales et métropolitaines.
Pour Alain Mérieux, présent lors de la remise officielle, le dépôt revêt une dimension à la fois intime et civique. La rénovation des bâtiments historiques de la rue Bourgelat a permis de redécouvrir des archives longtemps conservées dans des conditions imparfaites.

« Dans un monde instable, les archives sont des racines », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Lorsque le vent souffle fort, ce sont elles qui permettent de tenir. »
Les confier à la collectivité, c’est accepter que cette mémoire soit confrontée au regard critique, qu’elle nourrisse la recherche et qu’elle éclaire les débats contemporains sur la place de la science.
Du côté des responsables des Archives et de la Métropole de Lyon, le message est tout aussi clair.

« À une époque où la science est parfois contestée, rendre accessibles les archives, c’est rappeler que la connaissance repose sur des faits, des preuves et une mémoire partagée », a souligné le président de la Métropole lors de la cérémonie.

Ces documents racontent une histoire lyonnaise singulière, mais ils éclairent surtout une page essentielle de l’histoire mondiale de la santé publique, où s’entremêlent innovation scientifique, responsabilité industrielle et engagement humanitaire.
En rejoignant les rayonnages des Archives départementales et métropolitaines, la mémoire Mérieux change de nature. Elle cesse d’être un héritage conservé pour devenir un matériau partagé. Une matière vivante, destinée aux chercheurs comme aux citoyens, capable de rappeler que la santé publique ne se construit ni dans l’instant ni dans l’oubli, mais dans la durée : celle des choix, des savoirs accumulés et des responsabilités assumées, désormais inscrites dans l’histoire commune.













