Gala du Ninkasi Musik Lab : fête, cirque et réflexion sur la vie d’artiste
Comment le Ninkasi Musik Lab aide les artistes à vivre de leur musique
Entre solidarité et professionnalisation, le Ninkasi Musik Lab invente un modèle d’accompagnement unique pour musiciens émergents.
Sous le chapiteau du Cirque Imagine, les tables sont dressées comme pour un mariage d’artistes. Les lumières tournent, la musique pulse doucement, et les invités prennent place, entre musiciens, mécènes, membres du jury, programmateurs et partenaires.
Ce soir-là, mardi 7 octobre, le Ninkasi Musik Lab célèbre son gala annuel dans une ambiance de cirque moderne : un décor de fête, un parfum de sciure et de vin blanc, un fond de réflexion. Entre les verres qui tintent et les éclats de rire, les conversations s’attardent sur la vie d’artiste, la création, la précarité, et ces espoirs têtus qui s’accrochent malgré tout.
Un numéro d’équilibriste suspend le souffle de la salle. Puis, dans une lumière ambrée, une voix s’élève. Oriane, alias Bouki, chante doucement, presque à voix nue. Sa musique enveloppe le chapiteau, les conversations s’éteignent, on écoute.

Ce n’est pas un simple concert, c’est un instant suspendu, une parenthèse de sincérité au cœur de la fête. Le gala du Ninkasi Musik Lab, c’est cela : la beauté du geste et la conscience du réel, l’éclat et l’envers.

Derrière la fête, l’association lyonnaise porte une question simple, presque obstinée : peut-on encore vivre de sa musique en 2025 ?
Depuis près de dix ans, le Ninkasi Musik Lab accompagne des musiciens émergents dans leur parcours vers la professionnalisation. Chaque année, plus de quatre cents artistes postulent ; huit seulement sont retenus.
Pendant dix-huit mois, ils sont formés, encadrés, conseillés. Ils apprennent les rouages administratifs, travaillent leur présence scénique, se construisent un réseau, mais surtout, ils sont rémunérés.

« Ce n’est pas un tremplin, c’est une pépinière », insiste Alexandre Queneau, coordinateur du programme. Ici, on n’élit pas des gagnants, on fait grandir des projets.

Une enquête menée auprès de quarante-sept artistes accompagnés depuis 2016 vient confirmer l’intuition de l’équipe. L’artiste en développement type a trente-trois ans, consacre en moyenne sept ans à bâtir son projet et tire de ses activités musicales environ onze mille euros par an — soit les deux tiers de ses revenus.
En ajoutant le reste, il atteint seize mille cinq cents euros, à peine au-dessus du seuil de pauvreté. « Ce sont des professionnels à part entière, explique Alexandre. Mais il leur faut sept ans pour atteindre un revenu décent. »
Dans les coulisses du gala, Clémence Lelarge, directrice du fonds de dotation Ninkasi, parle sans détour.
« L’accompagnement change des choses, bien sûr. Les artistes gagnent en visibilité, leurs revenus progressent, mais cela ne suffit pas encore à en vivre pleinement. »
Elle évoque avec un mélange de fierté et d’inquiétude les chiffres de l’étude : les revenus musicaux des participants doublent en moyenne entre leur entrée et leur sortie du dispositif. “C’est déjà beaucoup, mais c’est encore trop peu pour un métier qui exige tout.”
Car derrière les chiffres, il y a des visages. Celui d’Emma, chanteuse et bassiste du trio post-punk 111, lauréat du prix « coup de cœur » du jury en 2024.

« Le Ninkasi nous a donné une chance, raconte-t-elle. Ils ont cru en nous, vraiment. Grâce à eux, on a pu financer une partie de notre premier album et préparer une tournée. »
Trois dates, à Tulle, Bordeaux et Montpellier : une première tournée nationale pour un groupe jusque-là ancré dans sa région. “Ce n’est pas seulement une opportunité, c’est une respiration.”

Dans la même salle, un peu plus loin, Lula, du groupe Venin Carmin, résume d’une phrase le paradoxe de toute une génération : « On est trop gros pour les dispositifs d’aide, trop petits pour les labels. » Entre l’espoir et le vertige, les artistes avancent sur un fil tendu, à mi-chemin entre la reconnaissance et l’ombre.
Le Ninkasi Musik Lab tente d’amortir cette tension. En rémunérant chaque concert, en tissant un réseau de partenaires, en favorisant la collaboration plutôt que la rivalité, l’association invente un modèle où la musique retrouve sa valeur d’échange et d’humanité.
Au fil des années, quatre-vingt-dix projets ont ainsi été soutenus, près de cent cinquante artistes accompagnés. Certains ont percé, d’autres ont simplement trouvé leur place. Mais tous racontent une même histoire : celle d’une profession qui réclame du temps, du courage, et un peu de foi.

« Notre rôle, explique Fabien Hyvernaud, directeur du Ninkasi Musique, c’est de les aider à durer. À traverser les années sans s’épuiser, sans renoncer. »
Sous le chapiteau, la soirée se poursuit. Les tables se vident, les voix baissent, les lumières s’adoucissent. On parle encore d’avenir, de nouveaux morceaux, de projets à venir.
L’odeur du bois et du vin flotte encore dans l’air. Le gala s’achève sur une impression douce, presque mélancolique : celle d’une communauté d’artistes qui, malgré tout, continue de croire en la musique comme on croit à la lumière.

En sortant, certains jettent un dernier regard vers la piste. Là où, quelques heures plus tôt, une voix s’élevait, fragile et forte. Peut-on vivre de sa musique en 2025 ? Pas encore, peut-être. Mais à écouter ceux du Ninkasi Musik Lab, on comprend que la vraie question est ailleurs : comment continuer à créer, ensemble, malgré tout.








