Pourquoi les PME françaises dépendent des marques de distributeur
Salaires, parcours, temps partiel : la réalité du travail dans la grande distribution
Souveraineté alimentaire, MDD, fiscalité : le rapport FCD expose la vérité sur la grande distribution, entre utilité économique et fragilité.
La Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD) publie un rapport massif qui vient combler un vide : celui d’un diagnostic objectif, chiffré, indépendant et consolidé sur l’état réel du commerce français.
Un secteur omniprésent dans le quotidien des Français, mais paradoxalement mal compris. Les données officielles réunies par la FCD — INSEE, Dares, Deloitte, Circana, Commission européenne — dressent un panorama limpide : le commerce est à la fois un pilier économique majeur et un secteur sous pression, fragilisé par une combinaison unique de contraintes fiscales, réglementaires, concurrentielles et structurelles. Un secteur essentiel… mais à la croisée des chemins.
Premier employeur privé du pays, le commerce de détail fait travailler près de deux millions de personnes. Le rapport rappelle des faits rarement mis en avant :

90 % des collaborateurs du commerce alimentaire non spécialisé sont en CDI, l’ancienneté moyenne dépasse 11 ans, et la branche reste l’un des derniers ascenseurs sociaux encore opérationnels.
La promotion interne concerne 72 % des cadres, mais elle se construit dans le temps long : il faut en moyenne quinze ans pour passer d’employé à cadre, un parcours exigeant mais réel.
Le commerce accueille aussi des dizaines de milliers d’étudiants, ce qui explique en partie la proportion de temps partiels — et surtout leur adhésion : 91 % des salariés à temps partiel s’en déclarent satisfaits, car il s’agit majoritairement d’un choix d’organisation de vie.

Sur le plan économique, le rapport met fin à une idée largement répandue : non, la grande distribution n’est pas une industrie à fortes marges. C’est même l’inverse. Le résultat net des grandes surfaces alimentaires françaises plafonne à 1 %, là où les grands groupes multinationaux fournisseurs — Coca-Cola, Nestlé, Mondelez, Unilever, P&G — affichent des marges nettes pouvant grimper jusqu’à 25 %.
Cette distorsion dans la chaîne de valeur est renforcée par un autre écart : le taux de marge d’exploitation. Dans le commerce, il recule, pour atteindre 26,2 % au deuxième trimestre 2025 ; dans l’industrie agroalimentaire (IAA), il reste perché à 41,3 %, en reconstitution depuis la crise inflationniste.
Les distributeurs, contrairement aux idées reçues, absorbent la pression et amortissent les fluctuations plutôt qu’ils n’en profitent.

À cela s’ajoute une singularité française que le rapport met en lumière avec force : la France est numéro 1 en Europe en matière de restrictions globales sur le commerce de détail, selon l’indicateur de la Commission européenne. Qu’il s’agisse de l’ouverture de magasins, de leurs horaires, des surfaces ou de l’implantation, aucun autre pays européen n’impose un tel niveau de contraintes.
Et cette pression réglementaire vient s’ajouter à une pression fiscale très supérieure à la moyenne : 67 % du résultat d’exploitation du commerce de détail part en impôts et taxes de production, contre 44 % pour l’ensemble de l’économie.
Autrement dit : un secteur à faible marge, fortement capitalistique, lourdement taxé et très régulé. Une équation complexe dans un marché en pleine mutation.
Un paysage concurrentiel bouleversé, de l’extérieur… mais aussi de l’intérieur
Le rapport insiste sur un double choc concurrentiel. Le premier est externe : celui des géants numériques mondiaux. Ils maîtrisent toute la chaîne de valeur — logistique, data, paiement, marketing — et financent leur développement via des activités très rentables, comme le cloud.
Pour Amazon, le cloud représente 62,5 % de son résultat opérationnel. Ils innovent plus vite, investissent plus massivement et sont soumis à des règles fiscales très différentes. L’habillement a été la première victime de cette asymétrie : près de 20 % d’emplois perdus en onze ans.
Mais un deuxième choc, interne cette fois, redessine le marché alimentaire : la montée fulgurante de la Restauration Hors Foyer (RHF). Restaurants, cantines, restauration rapide : la RHF représente désormais 32,7 % des dépenses alimentaires des Français, contre 23 % en 1990. Une progression de 10 points en trente ans, qui détourne une part croissante du budget alimentaire traditionnel. Le commerce à domicile affronte ainsi un concurrent de plus en plus puissant.

Ce changement s’inscrit dans une mutation plus large : le basculement de la consommation vers les services. La part des biens dans la dépense des ménages — dont le commerce de détail — a chuté de 9 points depuis 2000, tandis que celle des services (hors logement) a progressé de 6 points. Les dépenses ne s’accumulent plus : elles s’expérimentent.
Le rapport rappelle cependant que la grande distribution reste un acteur clé de la souveraineté alimentaire française. Contrairement aux idées reçues, elle n’absorbe pas toute la production agricole : souvent moins de la moitié selon les filières. Mais elle joue un rôle structurant dans la chaîne de valeur : dialogue interprofessionnel, investissements, stabilisation des débouchés, contractualisation. Et surtout, le rapport le souligne, elle soutient massivement les PME françaises via les Marques de Distributeur (MDD).
En 2023, près des deux tiers du chiffre d’affaires des MDD proviennent des TPE et PME.
Les MDD, 35 % moins chères en moyenne que les marques nationales, sont aussi celles qui répercutent le plus vite les variations des matières premières et qui affichent le taux d’adoption le plus élevé du Nutri-Score. Un levier direct pour le pouvoir d’achat, l’origine France et la transparence alimentaire.

Face à ces transformations, le commerce n’a pas cessé de se réinventer : montée des formats de proximité, explosion du drive, extension des services numériques, adaptation aux nouvelles mobilités.
Mais sa capacité à accélérer dépend désormais de l’allègement des entraves documentées par la FCD. La combinaison d’une fiscalité lourde, d’un niveau record de régulations, d’un marché en bascule vers les services et d’une concurrence mondiale sous stéroïdes crée une tension nouvelle et potentiellement dangereuse.
Au terme de ce rapport, un constat s’impose : fragiliser le commerce, ce n’est pas fragiliser un simple secteur. C’est toucher à la cohésion territoriale, à l’emploi des jeunes, au tissu productif des PME, à la souveraineté alimentaire et au pouvoir d’achat. La FCD n’en appelle pas au statu quo, mais à un cadre équilibré.
Ce n’est pas une demande corporatiste : c’est un enjeu macroéconomique. Un enjeu de stabilité sociale. Un enjeu de souveraineté. Le commerce n’est pas seulement un intermédiaire : il est un pilier du pays. Et ce rapport rappelle, chiffres à l’appui, qu’il est plus fragile qu’il n’y paraît.












