
Tita Nzebi et Battista Acquaviva en concert à Lyon
Musique du monde : Tita Nzebi et Battista Acquaviva envoûtent le public lyonnais
Quand deux racines se rencontrent pour ne former qu’une harmonie, Tita Nzebi et Battista Acquaviva offrent à Lyon, le 17 octobre à l’Acte 2 Théâtre, un concert inoubliable.
Il est des concerts qui dépassent la simple performance musicale pour toucher à quelque chose de plus profond, presque sacré. Des moments où la scène devient un lieu d’évidence, où deux voix venues d’horizons lointains semblent soudain parler la même langue.
Ce soir-là, 13 octobre à l’Acte 2 Théâtre, dans le neuvième arrondissement de Lyon, la Gabonaise Tita Nzebi et la Corse Battista Acquaviva se sont retrouvées sur un même plateau. Un pari improbable, et pourtant : dès les premières notes, tout s’est accordé.


Tita Nzebi ouvre la soirée, enveloppée d’un calme souverain. Derrière elle, son guitariste Karelle tisse des lignes claires, et le percussionniste Walace, d’une agilité presque dansante, fait naître sous ses doigts des rythmes qui semblent battre au cœur même de la terre.
Elle chante en nzebi, langue bantoue parlée dans le sud du Gabon. Peu d’auditeurs, ici, en comprennent un mot — mais qu’importe. Sa voix ne raconte pas : elle invoque.
Elle puise dans la mémoire des anciens, dans les forêts équatoriales où tout commence, dans ces chants de femmes transmis au fil des générations.
On ne comprend pas les paroles, mais on saisit leur essence. C’est une langue de gestes, d’âmes et de silences.
Le public écoute, immobile, comme saisi par un souffle archaïque. L’émotion circule sans obstacle, portée par la justesse du ton, la force tranquille d’une artiste qui ne cherche pas à plaire, mais à relier. Tita Nzebi chante pour tous ceux qui ont oublié d’où ils viennent.
Puis la lumière change. Derrière un buisson de percussions africaines, une silhouette blanche s’avance : Battista Acquaviva. Elle tient dans ses bras sa Cetera, ce cistre corse dont les cordes brillent doucement sous les projecteurs. Et sa voix s’élève, pure, cristalline, presque irréelle.
C’est une voix d’île et de vent, une voix qui semble venir d’un autre temps. Ceux qui l’ont découverte dans The Voice, bouleversés par son interprétation du Psaume de David, retrouvent ici la même grâce suspendue — mais plus libre, plus nue.
Alors, quelque chose se passe. Les deux femmes se rejoignent, sans effet ni artifice. Tita chante en nzebi, Battista en corse. Deux langues que rien ne relie sinon le mystère des origines. Pourtant, les timbres se répondent, se mêlent, s’épousent.
Leurs voix dessinent une passerelle invisible entre les rivages de la Méditerranée et les rives du fleuve Ogooué. Pour la première fois, le « Dio vi salvi Regina », hymne corse, s’ouvre à d’autres sonorités. Les inflexions africaines s’y glissent avec pudeur, comme si l’histoire acceptait enfin de se réécrire à deux voix.
Ce moment-là appartient à la mémoire. Dans le silence de la salle, on perçoit quelque chose d’inédit : la rencontre de deux patrimoines, de deux façons d’habiter le monde. L’Afrique et la Corse, la forêt et la mer, unies par le souffle et la ferveur.

Et puis vient l’apothéose. Battista, Tita et Karelle s’avancent ensemble et entonnent A preghera de Georges Brassens. Trois voix, trois cultures, un seul battement d’âme. La chanson française devient ici une liturgie profane, une prière pour l’humanité. L’émotion monte, irrépressible.
Les spectateurs se lèvent, les applaudissements éclatent, les visages s’éclairent. Dans le vacarme des bravos, il y a un silence intérieur que personne n’oubliera.
Tita reprend, comme pour prolonger la vibration. En avant-première, elle dévoile trois chansons de son nouvel album, Mbama, à paraître en décembre. Des morceaux d’une puissance tranquille, porteurs d’une promesse : celle de la continuité, du lien, de la transmission.
Deux heures se sont écoulées sans qu’on les voie passer. Dans le foyer du théâtre, après le concert, les spectateurs parlent bas, encore habités. On échange des impressions, on cherche les mots pour dire l’indicible. On parle de racines, de mémoire, de ce qu’il reste quand les langues se taisent : la voix, peut-être, comme ultime refuge de l’humain.
Ce soir-là, à Lyon, deux femmes ont prouvé qu’entre les cultures, il n’y a pas de frontières mais des correspondances. Que chanter, c’est se souvenir. Et que, parfois, la musique ne se contente pas d’être belle : elle répare le monde.







