Paul Honvo : l’artiste qui expose la face cachée du succès dans « ASCENSION »
#Ascension #PaulHonvo #streetArt
Paul Honvo : un street art entre critique économique et poésie visuelle dans « ASCENSION »
Dans une salle sobrement élégante de l’Hôtel Pullman de Lyon, l’artiste visuel et street artiste Paul Honvo présentait, ce jeudi 17 avril, son œuvre la plus ambitieuse : « ASCENSION ». Loin d’être une simple fresque urbaine transplantée dans un cadre de prestige, cette toile manifeste est une mise en scène dense et méticuleuse, une critique douce-amère de notre société de l’illusion méritocratique et de la séduction par la réussite matérielle.
Au centre du tableau trône Moogy, ce mouton anthropomorphe au regard désarmant, signature visuelle et alter ego critique de Paul Honvo.
Ici, Moogy n’est pas seul : il apparaît démultiplié en trois figures, organisées en un parcours ascendant qui illustre un changement de condition sociale.
Chaque version du personnage matérialise une étape, un seuil franchi dans une quête que l’on comprend d’emblée comme celle d’une « ascension » économique et statutaire.

Cette œuvre singulière célèbre celles et ceux qui ont su s’élever, partant de rien, guidés par la volonté et la persévérance.
- La première figure de Moogy est affublée d’un bandeau frontal portant en lettres capitales « BROKE ».
Le choix du mot, simple et brut, annonce la couleur : il ne s’agit pas seulement de pauvreté matérielle, mais d’un état d’esprit, d’une fracture existentielle dans une société où l’argent est érigé en boussole morale. Serrant dans ses pattes un unique billet d’un dollar, Moogy affiche une expression figée, résignée, presque apathique.
- La seconde version du personnage, placée au centre de la toile, suggère le passage vers une autre réalité, marquée par une forme d’ambiguïté.
Le billet tenu est plus élevé, l’expression plus alerte, mais l’insatisfaction semble persister, comme si la condition avait changé, sans que le sentiment de réussite soit réellement atteint.
- Enfin, la troisième figure clôt le cycle avec une posture triomphante.
Moogy, ici, brandit fièrement un billet de 100 dollars, tandis que ses yeux sont remplacés par deux pièces d’or véritables : des Krugerrand sud-africaines, pièces d’investissement renommées, que l’artiste a littéralement intégré dans la toile.
Ce geste dépasse la simple esthétisation : il transforme l’œuvre en fétiche, matérialisant cette idée que l’argent finit par coloniser jusqu’au regard, jusqu’à la perception même du monde.

Au-delà de ce trio central, Paul Honvo déploie un arrière-plan d’une densité visuelle impressionnante. La toile (80 x 160 cm) est saturée d’éléments de collage méticuleusement sélectionnés :
- découpes de magazines,
- images publicitaires,
- fragments de billets de banque et
- extraits d’affiches culturelles, le tout formant une mosaïque où le trivial côtoie l’iconique.
Ce chaos ordonné évoque un flux d’images contemporain, celui que nous absorbons chaque jour par écrans interposés, sans jamais en contrôler la cadence. Paul Honvo y glisse volontairement des références à la pop culture, à la finance mondialisée, à l’obsession du paraître, dressant une cartographie implicite de ce que l’artiste perçoit comme les moteurs invisibles de la société de consommation.
Les couleurs, quant à elles, éclatent dans un registre volontairement saturé, flirtant avec l’univers des cartoons et de l’animation. Les aplats francs, les contours marqués et les effets brillants — notamment via l’utilisation de résine époxy — confèrent à l’ensemble une vitalité presque clinquante, renforcée par la présence de feuilles d’or, utilisées non comme ornement mais comme outil symbolique.
L’or, matière noble par excellence, est ici omniprésent et paradoxalement piégé dans une œuvre critique sur l’ascension sociale.

Si la charge visuelle est puissante, la dimension matérielle de « ASCENSION » achève d’en faire une œuvre hybride, à la croisée des chemins entre art plastique et art-objet.
En intégrant de véritables billets de banque et deux pièces d’or d’une valeur tangible, Paul Honvo joue avec l’ambiguïté entre valeur esthétique et valeur marchande, questionnant implicitement le statut même de l’œuvre d’art dans un marché où la cote d’un artiste peut, elle aussi, devenir un indice spéculatif.
Au-delà de la toile, c’est la mise en scène qui parachève l’œuvre. Conçu avec un mécanisme artisanal discret, « ASCENSION » permet littéralement d’extraire et d’admirer les pièces d’or, transformant le spectateur en acteur, et l’art en expérience physique. Un geste qui traduit l’envie de Paul Honvo de ne jamais dissocier le fond de la forme, ni l’intellect de l’émotion sensorielle.
À travers « ASCENSION », Paul Honvo interroge frontalement le mythe de la réussite personnelle : ce récit ultra-présent dans la culture occidentale contemporaine qui fait de l’individu le seul artisan de sa propre « ascension ». Un mythe séduisant, mais aussi violent, qui occulte les inégalités structurelles pour glorifier les réussites isolées.

En choisissant Moogy comme protagoniste, figure d’apparence naïve et attachante, l’artiste joue le contraste entre candeur et complexité. Sous ses airs de fable illustrée, l’œuvre dévoile une amère leçon sur le prix de l’ambition, et sur la manière dont la société façonne les désirs bien plus qu’elle ne récompense les mérites.
Classé en 2024 parmi les 50 artistes visuels vivants les mieux cotés en France par l’indice officiel I-CAC, Paul Honvo incarne lui-même cette tension entre art authentique et reconnaissance institutionnelle. Autodidacte, il a fait ses armes dans l’espace public lyonnais, multipliant happenings, expositions sauvages et interventions éphémères, avant d’intégrer progressivement le cercle fermé du marché de l’art.
Avec plus d’une quinzaine d’œuvres vendues par an, Paul Honvo s’impose comme une signature recherchée.
Avec « ASCENSION », il signe une œuvre de maturité, qui conserve l’irrévérence du street art tout en dialoguant avec les codes du marché de l’art contemporain. Ce double langage, visuel et conceptuel, est sans doute la marque d’un artiste conscient de sa propre trajectoire, aussi critique que lucide face à son temps.

Ascension est valorisée entre 35 000 et 50 000 euros, et pourrait dépasser les 70 000 selon le profil de l’acquéreur.
Sous son apparence ludique et colorée, « ASCENSION » est une œuvre piégée, qui prend le spectateur par la main pour l’inviter sur le terrain glissant des faux-semblants sociaux. Moogy, en guide silencieux, devient le révélateur d’un monde où l’argent est la mesure de toutes choses, jusqu’à parasiter nos rêves les plus simples.
En exposant ce tableau dans un cadre hôtelier feutré, Paul Honvo parachève le paradoxe : un street art domestiqué, qui n’a rien perdu de sa subversion. Une ascension réussie, en somme, et une invitation à regarder au-delà du vernis doré.