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“Au-delà du plaisir” : Daphné Ewin transforme le langage en terrain de tension et de jouissance

Dans Au-delà du plaisir, Daphné Ewin propose une écriture du désir dépouillée, clinique, adressée, où le plaisir devient acte de langage. Rencontre avec l'auteure

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“Au-delà du plaisir” de Daphné Ewin : un texte sans intrigue, tendu entre adresse et silence
“Au-delà du plaisir” de Daphné Ewin : un texte sans intrigue, tendu entre adresse et silence

Dans “Au-delà du plaisir”, Daphné Ewin déplace le plaisir du corps vers le langage

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“Au-delà du plaisir” : Daphné Ewin adresse le corps absent à un “tu” sans visage

Avec Au-delà du plaisir, Daphné Ewin signe un texte littéraire rare, tendu, sans concession. Ni roman à intrigue, ni récit érotique classique, ni autofiction narrative, le livre déjoue les formats attendus.

C’est un objet textuel dense, sculpté, construit sur une adresse constante à un “tu” indéfini. Ici, le plaisir ne se donne pas à lire mais se cherche dans les creux du langage. Le corps n’est pas représenté, il est invoqué. Le désir ne conduit pas à la jouissance, mais à la phrase.

Dès les premières lignes, un dispositif se met en place : une voix s’adresse à un “tu” jamais identifié. Fantôme, lecteur, amant, analyste, peu importe. Ce “tu” devient le point d’appui d’un mouvement intérieur, comme une scène mentale sans décor ni résolution.

Le texte progresse par reprises et variations. Il ne raconte pas, il explore. Chaque fragment agit comme un impact. La phrase est courte, incisive, travaillée dans le silence.

« Tu dis que je jouis de ne pas jouir. Tu as raison. » Ce que Daphné Ewin montre ici, c’est le déplacement de l’excitation : elle ne réside pas dans la situation, mais dans la langue.

Le plaisir se faufile entre les mots, dans ce qui résiste à la nomination. Rien n’est donné, tout est ajourné, frôlé. L’écriture devient surface de friction, là où le désir prend corps sans se montrer.

“Au-delà du plaisir” : quand l’érotisme devient scène d’écriture
“Au-delà du plaisir” : quand l’érotisme devient scène d’écriture

« Il n’y a pas de scène, pas d’histoire : juste un corps qui parle dans l’absence, sous tension. »

Ce que le livre engage en profondeur, c’est la tension entre langage et chair, entre ce qui veut dire et ce qui échappe. Le corps jouit, mais ne parle pas. L’écriture parle, mais ne jouit pas. Entre les deux, un mouvement se crée — celui du texte.

Sans jamais citer ses références, Ewin s’inscrit dans une tradition psychanalytique souterraine. Le titre évoque Freud, la structure rappelle Lacan, mais rien n’est didactique.

Le texte agit comme un inconscient : il avance par répétition, par manque, par glissement.

Lire Au-delà du plaisir demande une posture rare aujourd’hui : lente, attentive, dénudée d’attente narrative.

L’écriture n’est ni chaude, ni distante. Elle est rigoureuse, exposée, parfois brutale. On pense à Marguerite Duras pour l’ellipse, à Annie Ernaux pour la sécheresse, à Chloé Delaume pour la frontalité. Mais Daphné Ewin trace un chemin à part : un langage dépouillé, presque chirurgical, tendu vers un “tu” qui échappe toujours.

Cette exigence fait aussi du livre un objet éditorial singulier. À rebours des tendances dominantes — récits calibrés, autofictions virales, formats courts à effet rapide — Au-delà du plaisir choisit la densité et le trouble. Il ne repose sur aucune stratégie de visibilité, mais circule tout de même.

On le trouve en librairie indépendante. Il se recommande, s’échange, parfois s’étudie en atelier d’écriture ou en séminaire sur le corps et le langage. Il ne cherche pas l’événement : il s’installe.

Ce type de réception lente, presque souterraine, en dit long sur une autre économie du livre. Celle qui privilégie la durée à la performance, le bouche-à-oreille à l’algorithme, la lecture attentive au flux continu.

Au-delà du plaisir ne fait pas le buzz, mais fait trace. Il propose une alternative : non pas flatter l’attention, mais la déplacer. Non pas séduire, mais exposer.

Et si c’était cela, aujourd’hui, l’érotisme véritable en littérature ? Ne pas raconter le plaisir, mais en éprouver les contours. Ne pas donner à voir, mais ouvrir une tension. Faire de l’écriture elle-même la seule scène possible du désir.

 

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