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EDF, factures, gaz, Bruxelles : les révélations d’Anne Lauvergeon dans “Un secret si bien gardé”

Alors que les prix de l’électricité s’envolent, Anne Lauvergeon revient dans Un secret si bien gardé sur les choix stratégiques qui ont fragilisé EDF, marginalisé le nucléaire et exposé la France à une double dépendance énergétique. Décryptage

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Nucléaire, gaz, électricité : les vérités dérangeantes d’Anne Lauvergeon dans “Un secret si bien gardé”
Nucléaire, gaz, électricité : les vérités dérangeantes d’Anne Lauvergeon dans “Un secret si bien gardé”

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Anne Lauvergeon : “On a bradé notre énergie décarbonée” – Extrait de “Un secret si bien gardé”

À travers Un secret si bien gardé, paru chez Grasset, l’ancienne présidente d’Areva, Anne Lauvergeon, livre une lecture percutante, documentée et polémique de la crise énergétique européenne. Cet essai engagé retrace les origines du chaos actuel — explosion des prix, perte de souveraineté, affaiblissement industriel — et pointe du doigt un coupable : la défaillance stratégique des politiques européennes et françaises qui, selon elle, ont abandonné l’atout le plus décisif de notre mix énergétique national : le nucléaire.

Depuis 2021, l’Europe affronte une crise énergétique majeure, sans précédent depuis le premier choc pétrolier de 1973. Cette crise, que certains ont cru exclusivement déclenchée par l’invasion de l’Ukraine, couvait en réalité bien avant cela.

L’inflexion idéologique de l’Union européenne, son aveuglement face à la dépendance croissante au gaz russe, et l’affaiblissement progressif de la politique énergétique française ont convergé pour produire une défaillance systémique.

Dans son ouvrage, Anne Lauvergeon lève le voile sur ce qu’elle considère comme un sabotage stratégique : l’abandon délibéré des atouts industriels et énergétiques français au profit d’un modèle européen inefficace, désincarné et idéologisé.

L’Europe, rappelle-t-elle, s’est longtemps bercée de l’illusion d’un leadership vert, préférant la posture climatique à la sécurité énergétique. Elle a ainsi laissé s’installer une double dépendance : géopolitique d’abord, au gaz russe, puis commerciale, au GNL américain, issu pour 78 % du gaz de schiste – ressource honnie par les Verts européens mais massivement importée depuis 2022.

Cette contradiction n’a suscité aucune protestation de la part des ONG environnementales, pourtant promptes à condamner toute exploitation nationale du même gaz.

Résultat : en 2022, les groupes gaziers américains réalisent 52 milliards de dollars de bénéfices sur le seul marché européen.

Pour Anne Lauvergeon, cette situation n’est pas qu’une erreur de conjoncture. Elle révèle un effacement méthodique de la politique énergétique française, fondée historiquement sur la souveraineté, la continuité et la maîtrise industrielle.

De 1944 au début des années 2000, la France a bâti un système unique : diversification des approvisionnements en gaz, développement massif de l’électricité nucléaire et hydraulique, constitution d’un tissu industriel complet – d’EDF à Areva, en passant par Alstom et Total. Cette architecture robuste reposait sur une stratégie étatique, assumée, et une convergence rare des forces politiques, administratives et syndicales.

Or, depuis une quinzaine d’années, ce socle a été progressivement démantelé sous l’influence de deux dogmes européens : la concurrence comme fin en soi, inspirée du modèle britannique des années 1990, et le rejet allemand du nucléaire.

L’Union européenne a appliqué au secteur de l’énergie les règles du marché des télécommunications, ignorant la nature physique, capitalistique et géopolitique de cette industrie.

EDF a été segmenté, contraint de vendre à perte une partie de son électricité via le mécanisme de l’ARENH, pendant qu’Alstom Énergie disparaissait et qu’Areva était démantelée. Cette stratégie a affaibli l’outil industriel, miné les investissements et paralysé la capacité d’anticipation.

La crise actuelle en est le révélateur brutal. En 2021, avant même la guerre en Ukraine, EDF entre en turbulence : retards de maintenance, détection tardive de corrosions sur plusieurs réacteurs, et baisse massive de la production nucléaire.

À l’hiver 2022, la moitié des réacteurs sont à l’arrêt. L’entreprise vend alors de l’électricité à l’avance, à bon prix, avant de devoir racheter à des prix explosifs l’énergie qu’elle ne peut plus produire. Le trading hasardeux, combiné à une production en chute libre, conduit à des pertes historiques et à la nationalisation d’EDF en 2023.

Pendant ce temps, les centrales à gaz – notamment en Allemagne – dictent le prix de l’électricité sur l’ensemble du marché européen, parfois jusqu’à 275 €/MWh, bien que représentant moins d’un quart de la production.

Dans cette configuration chaotique, le rôle du nucléaire – énergie pilotable, décarbonée et compétitive – apparaît paradoxalement comme un tabou. Lauvergeon dénonce une marginalisation idéologique orchestrée depuis Bruxelles, où l’éolien et le solaire ont été promus comme les seuls vecteurs de transition, malgré leur intermittence structurelle et l’absence de solutions de stockage à grande échelle.

L’intermittence, rappelle-t-elle, nécessite un adossement à des sources constantes. En Allemagne, ce sont le gaz et le charbon ; en France, le nucléaire. La suppression des sources pilotables dans un système où la demande reste constante engendre mécaniquement l’instabilité, la hausse des prix et, en cas de tension, le retour au charbon. Exactement ce qui s’est produit.

L’hydrogène, souvent présenté comme solution miracle, est aussi passé au crible. La production actuelle provient à 99 % de sources fossiles (hydrogène gris, brun ou noir), et seulement 0,04 % de l’électrolyse verte.

Les projets d’hydrogène vert reposent sur des énergies elles-mêmes intermittentes, donc inadaptées à une exploitation industrielle rentable. Le recours à l’hydrogène jaune – issu du nucléaire – serait plus cohérent, mais demeure sous-financé au nom d’un positionnement idéologique.

Le cœur du propos de Lauvergeon est limpide : la France dispose d’un “secret” énergétique que d’autres lui envient – son parc nucléaire –, mais elle s’en détourne pour des raisons dogmatiques. Elle qualifie cette situation de “hold-up d’État”.

Ce secret bien gardé, ce serait la capacité de produire une électricité massivement décarbonée sans investissements massifs supplémentaires, avec une compétitivité inégalée. Pourtant, la France a suivi le mouvement européen sans résister, sacrifiant son avantage comparatif. Et les résultats sont là : factures en hausse, compétitivité industrielle en berne, dépendance géopolitique renforcée.

L’essai propose en filigrane un retour au bon sens stratégique. Il ne s’agit pas de rejeter les renouvelables mais de cesser de les opposer au nucléaire, de reconstituer une politique industrielle structurée, et d’adosser la transition énergétique à une réalité physique plutôt qu’à des abstractions politiques.

La France, conclut-elle, a tout pour redevenir un leader énergétique européen. À condition d’oser regarder ce qu’elle a voulu oublier.

 

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