
Forêt, climat et reconversion : pourquoi les balades “Vis ma vie de bûcheron” attirent autant
Comment “Vis ma vie de bûcheron” fait découvrir la filière bois au grand public
Dans les sentiers forestiers de la région, un programme immersif gratuit propose de comprendre les enjeux du bois face au climat et à l’avenir.
À travers le programme « Vis ma vie de bûcheron« , une cinquantaine de sorties gratuites plongent les citoyens dans le quotidien méconnu des professionnels de la forêt. Une expérience pédagogique au cœur d’un métier en tension, entre passion du bois, mutation écologique et urgence de recrutement.
Casque de sécurité vissé sur le crâne, chaussures renforcées, gilet fluo sur le dos, une vingtaine de participants avancent à pas prudents sur un sentier forestier du Vercors. Devant eux, un bûcheron professionnel stoppe sa tronçonneuse, salue, puis commence son exposé.

Les regards sont attentifs, les questions fusent : “Combien de mètres cubes par jour ?”, “Et les arbres malades, vous les repérez comment ?”, “Ça fait combien de temps que vous faites ça ?”
Ce jour-là, comme dans une cinquantaine d’autres forêts en Auvergne-Rhône-Alpes, des citadins, des familles, des curieux, des jeunes en reconversion ou des promeneurs du dimanche découvrent, casque sur la tête, ce que signifie réellement “travailler en forêt”. Bienvenue dans Vis ma vie de bûcheron.
Depuis 2014, cette initiative originale ne cesse de croître. D’abord cantonnée au Parc naturel régional des Bauges, elle s’est étendue à toute la région Auvergne-Rhône-Alpes et mobilise aujourd’hui une constellation d’acteurs : Fibois AuRA, les Parcs naturels régionaux, les interprofessions forestières départementales, et un vaste réseau de professionnels du bois.
Le principe est simple : proposer au grand public une demi-journée d’immersion gratuite sur un chantier forestier, en pleine nature, au contact direct de celles et ceux qui vivent et font la forêt.
En dix ans, plus de 5 000 personnes ont participé à l’expérience. Et pour beaucoup, le regard sur la forêt en ressort profondément transformé.
Car la forêt n’est pas un simple décor bucolique. C’est un espace vivant, en constante évolution, soumis à des tensions économiques, sociales et climatiques.
C’est aussi un lieu de travail, souvent invisible, où s’activent des femmes et des hommes dont le rôle est aussi discret qu’essentiel :
- entretenir,
- gérer, couper,
- planter, débarder,
- replanifier.
Face aux défis environnementaux, les métiers de la forêt sont en pleine mutation.
Réchauffement climatique, attaques parasitaires, dépérissement de certaines essences, incendies, érosion des sols : les forêts françaises sont fragilisées.
Pour y faire face, les professionnels doivent adapter leurs pratiques, miser sur la diversité des essences, renouveler les peuplements, anticiper les équilibres écologiques de demain. Ce sont ces réalités que “Vis ma vie de bûcheron” donne à voir et à comprendre, loin des idées reçues.
Dans un monde où l’on parle beaucoup de transitions, peu de secteurs illustrent autant ce mot que la filière forêt-bois. À la fois productrice de matière première renouvelable, actrice de la captation carbone et garante de la biodiversité, la forêt porte en elle une promesse de résilience – à condition d’être gérée avec soin.

Lors des immersions, les professionnels prennent le temps d’expliquer pourquoi certaines coupes sont nécessaires, comment se choisit un arbre à abattre, comment les cycles forestiers se planifient sur plusieurs décennies, et pourquoi l’exploitation raisonnée est l’une des clés de la protection des forêts.
Ces échanges, souvent passionnés, permettent aussi de désamorcer certains malentendus fréquents :
- non, couper un arbre n’est pas systématiquement un acte destructeur ;
- oui, il est possible d’exploiter sans abîmer, à condition de le faire avec expertise, rigueur et humilité.
Mais derrière cette pédagogie, se cache aussi une urgence sociale : le besoin de main-d’œuvre.
En Auvergne-Rhône-Alpes, première région forestière de France en volume de bois récolté, la filière emploie plus de 30 000 personnes dans 1 000 entreprises.
Or, le secteur manque cruellement de bras. Bûcherons, débardeurs, conducteurs d’engins, gestionnaires forestiers : les postes sont là, les candidats manquent.
Trop souvent perçus comme pénibles, solitaires ou précaires, les métiers du bois souffrent d’un déficit d’image. “Vis ma vie de bûcheron” entend aussi réparer cela, en montrant la richesse humaine et technique de ces professions. Et les résultats sont là.

Chaque année, plusieurs participants franchissent le pas de la reconversion. Certains entament des formations qualifiantes, d’autres rejoignent des entreprises de la filière, attirés par un métier ancré, tangible, au plus près du vivant.
L’été 2025 marque une édition particulièrement dense de l’opération.
Plus de 50 sorties sont prévues jusqu’à la Toussaint, de la Chartreuse au Beaujolais, du Haut-Jura à la Haute-Loire.
Le succès repose sur une formule simple et humaine : pas de mise en scène, pas de grands discours, juste la parole d’un professionnel, une marche en forêt, des gestes à observer, des questions à poser.
Et parfois, un déclic.
“C’est quand j’ai vu le respect avec lequel le bûcheron choisissait un arbre à couper que j’ai compris que ce n’était pas un métier de force, mais de finesse”, raconte Aline, 32 ans, qui s’est inscrite à une formation de sylviculture quelques mois après sa participation.
“Moi je croyais que c’était un boulot pour costauds avec des haches. J’étais à côté de la plaque”, sourit Hugo, 18 ans, élève en bac pro forêt, croisé dans une sortie à Saint-Bonnet-le-Courreau.

Derrière chaque tronçonneuse, chaque parcelle gérée, chaque plantation régénérée, il y a une conviction : la forêt ne se sauvera pas toute seule. Elle a besoin d’hommes et de femmes formés, impliqués, et soutenus.
En offrant au public un accès direct à ce monde souvent caché, Vis ma vie de bûcheron ne se contente pas d’informer.
Elle tisse, petit à petit, un lien de confiance entre ceux qui coupent et ceux qui se promènent, entre ceux qui exploitent et ceux qui protègent, entre les forêts d’aujourd’hui et celles de demain.